Prédication

Une nouvelle prédication narrative inspirée par Mathieu 22, 1 à 14

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Une prédication narrative

inspirée par Matthieu 22, 1 à 14

pour le dimanche 11 octobre 2020 à Mérignac (17)

par Angelika Krause

Les brumes entrent dans l’atelier, ce matin d’automne. Trois scribes sont à l’œuvre. Leurs pinceaux, on devrait mieux dire, calame, glissent tant bien que mal sur le papier rêche. Le papyrus, c’est bien, mais ce n’est pas régulier. Parfois c’est une fibre qui résiste, parfois c’est un mot qui laisse l’un ou l’autre parmi eux en suspens.

 

Là, Adamis n’en peut plus. Dès qu’il arrive à l’atelier, il copie un manuscrit de Matthieu. La communauté des chrétiens leur a confié un rouleau en parchemin. Ils possèdent un unique rouleau. Mais ils sont nombreux. Ils ont besoin d’avoir des copies. Copier les évangiles, il en a l’habitude. Ce Matthieu, cela a dû être un rigoureux. Mais un connaisseur. On ne peut pas le dire mieux. Il aurait bien aimé le connaître. Mais il paraît qu’il soit mort. Son grand-père l’avait encore connu. Matthieu, c’était quelqu’un. Il sait faire des liens vers le Premier Testament. Aucun doute. Dans ce passage, il doit parler des prophètes ou… ? C’est un peu alambiqué.

Oui, Matthieu, c’est un connaisseur des Écritures. Mais là, il en fait trop. Écoutez, dit Adamis aux autres qui s’appliquent à leur travail. Écoutez : le roi invite et les invités ne veulent pas venir. Ils ne s’expliquent même pas. Ils continuent comme si de rien n’était. C’en est vraiment trop. Je ne peux pas laisser passer ça. Un roi, cela se respecte. Mais il est… vraiment, il n’est pas drôle, ce roi…

Son jeune voisin lève un peu la tête.

De quoi parles-tu ? Il n’y a plus de roi, il le taquine. Mets-toi à la page. Tu n’es pas si vieux que cela. Nous avons un empereur. Tu le sais tout de même. Depuis plus d’un siècle, Rome n’est plus une république. Tu vis davantage entre les pages de tes manuscrits que dans la réalité. De quel roi parles-tu ?

 

C’est justement ça qu’Adamis n’arrive pas à comprendre. Un roi… Il sait bien que les chrétiens parlent de leur dieu comme d’un roi. Et là, Matthieu relate des paroles de Jésus. Jésus aurait parlé d’un royaume où le roi organise une fête. Mais cela se passe mal. Dans le sang et la violence.

            Il cherche à nommer son embarras. Le dieu des chrétiens, n’est-il pas un dieu d’amour ? D’où vient cette explosion de mauvaise volonté de la part des invités ?

          Aurait-il mélangé les feuilles à copier ? Et comment cela se fait-il que ce roi ne fasse pas de geste pour stopper la violence qui se déchaîne ? Qu’il l’exacerbe même.

 

Positionné du coté de l’autre fenêtre, le troisième scribe n’avait écouté que distraitement. Il se concentre. Écrire dans la fraîcheur du matin est préférable à la lourdeur de l’après-midi. Le soleil n’est pas encore encore monté bien haut. Rappelez -vous ! dit-il. Il y a 40 ans, la violence s’est déchaînée à Jérusalem. Le pouvoir impérial de Rome a mis la ville en sac. Les uns sont partis du coté de Babylone, d’autres sont allés au centre du monde, à Rome même. Nos parents ont préféré partir vers l’Égypte. Partir, au loin. Aux quatre coins du monde. Ils ont pris racine dans la diaspora. Et tout de même, on est restés le peuple que Dieu s’était choisi.

Adamis a du mal à encaisser la réponse. Il marmonne, tournant le calame dans le petit pot de peinture devant lui.

« Drôle de choix. Je ne sais pas… Tu penses que c’est normal qu’on se trouve ici maintenant… Éjectés. Loin du temple. …ou de ce qui en reste. Il écrase encore un peu de poudre avec une petite meule, fine, toujours plus fine. L’encre sera parfaite. Mais il n’arrive pas à se remettre à son ouvrage. 

 

Normal, je ne sais pas. …son compagnon cherche entre les feuilles. L’autre jour, j’ai copié un passage de Jérémie. Ou Dieu dit dans un oracle que rendre un service aux faux dieux, c’est moins une offense envers lui dans sa souveraineté qu’une blessure qu’on s’inflige à soi-même.

S’il y pense bien, l’histoire de ce roi qui invite des gens qui n’en veulent pas de cette invitation lui semble logique. Mortellement logique. Il trouve cela compréhensible. A Jérusalem, ils se sont contentés de leur destin. Prestigieux. De leur dieu. De leurs pratiques. Chacun vaquait à ses occupations. Pourquoi en faire tout un plat ? Dieu était là et eux, ils étaient également là. Un peu distraits. Mais là tout de même.

 

Le jeune apprenti les a écoutés, un peu embarrassé. Il l’a appris. Il faut copier, copier. A la lettre. Et là, tout à coup, tout se grippe. Il ne faut pas réfléchir. Il faut écrire. Tel quel. Mais comprendre, il ne peut pas s’en empêcher de vouloir comprendre. Il dit « Ils n’étaient pas présents. Ils étaient aux abonnés absents.

 

Et se tournant vers Adamis. Pourquoi Matthieu ne dit-il pas directement ce qu’il pense ? Si Dieu veut que son peuple se laisse inviter, qu’il le dise ! Pourquoi parle-t-il d’un roi ? C’est comme s’il parlait de Dieu sans parler de lui. C’est comme s’il mettait notre compréhension à rude épreuve. Moi, je voudrais bien être invité par un roi à la noce de son fils. Imaginez les fastes. Imaginez les danseuses. Les plaisirs. Et enfin, une fois dans ma vie, plus à manger que je ne le peux.. ».

 

N’exagère pas, lui dit Adamis. Tu gagnes assez pour payer ton pain. Tu peux même rapporter des haricots, des courges, des poireaux chez ta mère. Rien ne vous manque.

 

Mais le jeune ne l’entend pas de cette oreille. Comment le dire à son maître ? Après tout, c’est son tuteur. Mais il s’y lance : Tu sais, ce que je voudrais, c’est la fête, une vraie fête. C’est comme si j’entendais déjà la musique. Comme si les vents m’apportaient l’odeur des mets. Des senteurs que je ne connais pas de nom. Parfois je passe devant l’auberge du port. Là-bas on peut déguster des aliments et des épices rares. …Pas moi, mais ceux qui en ont les moyens. Je me mets dans un coin et en humant les odeurs de la cuisine, je m’imagine des goûts, des délices, des parfums inimaginables. Et comme je les imagine…

 

Adamis reprend le fil : Tu vois…. tu fais déjà presque partie de la fête. Tu t’es laissé inviter. Tu sens bien que là-bas, quelque chose se trame. Quelque chose qui en vaudrait la peine.

 

Tu crois que je serais à la hauteur ? L’apprenti attrape la balle au vol. Je n’ai pas vraiment l’habitude. Dans l’auberge, je me blottis dans un coin sombre. Je n’ai pas appris de me tenir chez les gens riches. Je n’ai pas eu une éducation choisie. Est-ce que je serai à ma place ?

 

Pendant que son apprenti raisonne, doute, s’avance, Adamis cherche des yeux un endroit dans la feuille devant lui. A oui, c’est vers la fin. Là on parle de quelqu’un qui est entré sans porter des habits de fête. N’est-ce pas évident que ceux qui viennent des quatre coins du monde n’aient pas des habits de fête sur eux ?

          Ce qui l’étonne encore davantage, c’est qu’il y ait un seul convive qui n’est pas paré pour la fête. Visiblement il ne s’agit pas du smoking qui lui manque. Il doit s’agir d’une autre façon de détonner. Est-ce que cet invité était venu comme un profiteur ? Un qui veut passer inaperçu…

          Ou avait-il eu du mal à y croire ? Que la fête soit pour lui comme pour les autres… L’invitation risque de ressembler à un engagement.

 

Tout d’un coup, cela le prend. Toute sa vie, il avait été un homme bien. Il était un scribe scrupuleux, appliqué. Mais là, cela le prend. Il a envie de faire partie de la fête. L’engagement lui semble évident, aller de soi. Viens, dit-il a son apprenti. Viens. C’est le dimanche matin. C’est le moment où les chrétiens célèbrent leur dieu. Et s’il nous invitait, nous aussi ? Si la résurrection du Christ était pour nous ? Si le roi nous attendait ?

 

Son apprenti n’attend que cela. Copier les beaux textes, c’est une chose. Il aime bien. Comprendre ce qui bouleverse la vie, ce qui la rend exaltante, c’est bien mieux. Il pousse la porte de l’atelier, il ose imaginer de faire partie de la fête de ce roi.

De ce roi ? dit-il à Adamis. Ça va être chaud. Car Rome impose sa loi. Saurons-nous faire les choix qui seront les nôtres quand nous vivrons dans le royaume du Dieu unique ?

          C’est là où Adamis stoppe net. Il doit faire demi-tour. Avances déjà, dit-il a son apprenti. Tu ne peux pas te tromper. Ils chantent, ils prient. Vas-y déjà. Tu trouveras la fête. Moi, il faut que je fasse quelque chose d’important.

 

Vous pensez peut-être que c’est que des doutes l’ont pris. Qu’il va revenir sur sa décision ? Détrompez-vous ! Allez-voir… Adamis est retourné à sa table de travail. Dans un grand élan, il copie d’un seul trait l’histoire de ce royaume. Il s’est rappelé ce qui l’avait fait buter. Le royaume de Dieu est comme…

Dieu. Il va apprendre à le connaître, toujours davantage. Mais là il s’agit de copier simplement cette histoire, cette parole. Le royaume des cieux est comparable à un roi qui invite à la noce de son fils…

 

C’est leur échange autour de cette histoire qui leur a donné goût à suivre l’invitation. Il ne pourra pas faire l’impasse sur cette parabole même s’il la trouve cruelle et rude. La vie est souvent rude. Elle semble absurde. Ce sont des histoires comme celle-là qui permettent de se mettre en route, d’aller plus loin. Qui permettent que chacun suive sa route, à sa manière. Il ne s’agit pas de faire semblant.

          Pour une fois il est content. Son parchemin est rêche. Comme toujours. Il lui est presque reconnaissant. S’il avait eu un support lisse, il n’aurait probablement pas commencé à réfléchir. S’il n’avait pas buté sur le refus des invités, saurait-il suivre l’invitation ? Il n’a plus de temps à perdre.

          Il pose son calame et dit à son collègue :  …et si tu venais avec moi ? Nos manuscrits vont nous attendre !

 

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