Pâques 2019 – Prédication

La Pasteure Angelika Krause a présidé le culte de Pâques du 21 avril 2019.

Lire la prédication ci-dessous, ou la télécharger en pdf

 

Chorale à CressacNOMMER LA VIE   Jour de Pâques (21 avril 2019) – Culte à Cressac

Prédication sur le Psaume 118, 1 à 29 (dont certains passages étaient chantés par la chorale)

 

Chez les réformateurs, il y avaient deux écoles :

les uns étaient des nominalistes. Ils étaient convaincus que le fait de nommer des choses leur donnait une réalité. La parole leur donnait un souffle vivifiant. Martin Luther est un éminent représentant  de ce courant. Lui qui était bibliste jusque dans sa moelle épinière, comment aurait-il pu faire autrement ? La Genèse ouvre sur un acte créateur qui met en avant ce geste dynamique de la parole. L’évangile de Marc, mais surtout celui de Jean s’inscrivent dans ces pas. Le devenir du monde à travers la parole posée intéresse les nominalistes au plus haut lieu.

 

D’autres se sont bien davantage demandé ce qu’est l’essence-même du monde. C’est toute une autre question qu’ils se sont posée. Il n’est pas étonnant qu’ils se sont servis d’une autre théorie : dans la foulée de Thomas d’Aquin, ils ont cherché à connaître la nature du monde, de la réalité. Quand on se pose les questions de cette manière-là, il n’est pas étonnant que l’on obtienne des réponses un peu statiques : le monde est comme ceci ou cela. Dieu est comme ceci ou cela. Jean Calvin avait été élevé dans cette école de pensée. Il formulera des concepts comme la souveraineté de Dieu.

 

Les théories contemporaines de la communication nous suggèrent l’importance de l’acte de la parole comme moteur créateur, …et dans ceci, Luther était probablement un moderne… En Eglise néanmoins on est souvent tenté de poser davantage les questions de l’essence, de l’être des choses. Il est bien plus tentant pour la pensée cartésienne de poser les choses du coté de la vérité qui règne dans ce monde que du coté du devenir de ce monde.

 

Si je regarde bon nombre de psaumes, eux, ils ont un léger penchant du coté des nominalistes. Le 118 n’en fait pas exception. Deux, voire trois voix se font écho, se répondent. C’est une pratique liturgique où une parole résonne auprès de différentes chorales et chantres. Ils se font écho, s’interpellent. Mais cette pratique n’est pas simplement mis en œuvre pour faire joli.

 

Chanter une réalité, répéter et affirmer certaines convictions, ces approches-là sont très souvent du ressort des nominalistes. Il ne suffit pas de penser que Dieu est bon. Il importe de le dire, à haute voix.

          La parole permet un va et vient entre notre for intérieur et le monde palpable ; ceci est essentiel à notre relation avec Dieu. Elle se construit et se fortifie au moment où nous l’affirmons.

 

Dans une relation amoureuse, nous le savons bien : une déclaration d’amour vaut mieux qu’un silence, aussi parlant soit-il. Elle nourrit le lien profond et change en ceci la relation. Pour les couples amoureux, ceci semble largement admis.

          Quand il s’agit de la foi, la même observation est tout à coup sujet à suspicion. Vous êtes victimes d’un endoctrinement, diront les uns. D’un rabâchage stérile. Sans consistance. Et la thèse de l’opium pour le peuple n’est pas loin….

 

Louer l’amour de Dieu, c’est comme assister à une création, diront d’autres. La vie de Dieu, la vie avec Dieu se crée sous nos yeux. « Sa fidélité est pour toujours »… Trois fois cette phrase a traversé notre espace ici. Chaque fois, elle était liée a une situation particulière, à un enracinement : cette fidélité est une expérience partagée par des groupes de personnes : par la maison d’Israël, par la maison d’Aaron et puis par ceux qui craignent le Seigneur. 

 

La relation vivante avec Dieu est une relation qui s’inscrit auprès d’ un ensemble de personnes, dans un pluriel. Si j’étais toute seule, probablement je ferai des expériences. Mais saurais-je les nommer ? Saurais-je leur donner une forme ? …ou resterai-je enfermée dans un mutisme solitaire ?

 

L’invitation à louer la bonté et la fidélité de l’Éternel n’efface pas l’individu. Loin de là. C’est probablement même le contraire : la parole partagée permet à l’individu d’inscrire et de nommer sa propre expérience : l’expérience d’un danger mortel et de la solitude dans laquelle la personne s’est trouvée : « j’étais assiégé, encerclé… et la droite du Seigneur fait un exploit ! Pour moi. »

C’est là l’expérience des croyants : quand les fondements de la vie deviennent étroites, plus qu’étroites, la vie en Dieu peut se faire jour, elle peut se révéler.

          Mais il importe d’être attentifs : est-ce que des personnes font effectivement cette expérience-là ? Le discernement leur appartient. La droite du Seigneur fait un exploit, peuvent-ils dire à certains moments de leur vie. Parfois sont-elles entourées par des personnes qui partagent cette conviction avec eux. Mais quand la parole de la libération se fait jour, cela a lieu en parfaite cohérence avec leur propre vécu, dans leur authenticité.

 

C’est là un des écueils du mouvement charismatiques. De certains piétismes. Parfois des gens qui se veulent pieux ou spirituels affirment à quelqu’un qui est aux abois « Dieu viendra te sauver.           N’est-ce pas là une affirmation où les humains se mettent à la place de Dieu ? …ou au moins à la place des autres ?

          Nous la croyons, la vie en Dieu. Mais elle a besoin d’être reçue par chacun. Le rabâchage n’a pas lieu d’être, il est même dangereux car il renvoie à une situation creuse. Le psaume 118 se fait écho d’une parole partagée entre humains. Les affirmations de sa bonté se portent mutuellement. C’est là aussi tout l’enjeu de l’annonce de la résurrection.

 

Qu’en est-il alors de la traversée de la mort par Jésus, le Christ ? Pouvons-nous voir Jésus comme celui qui dit : Non, je ne mourrais pas, je vivrai pour raconter les œuvres du Seigneur.

          Pourrait-on lire cette expérience vivifiante à la lumière de Jésus Christ ? Certains passages y invitent. Les premiers chrétiens y ont vu son entrée triomphale à Jérusalem « C’est la porte du Seigneur – Que les justes entrent ». Et le juste par excellence, n’est-ce pas Jésus lui-même ? C’est cette clameur, c’est cette joie que l’on pouvait entendre dans un premier temps.

          Joie réelle. Jésus entre par la grande porte. Et puis : sa mort …devient un passage, un relèvement que nous nommons résurrection. Ce n’est pas simplement une expérience qui s’apparente à une petite mort. Non, il s’agit d’une mort véritable. Jésus n’était pas simplement un peu à l’étroit, menacé. Non, il a traversé la mort.

 

Quand certains ont du mal à affirmer aujourd’hui la résurrection, quand nous cherchons à dire comment parler de la résurrection, il importe que nous nous tournons vers ce gros mot des théologiens, vers l’incarnation. Jésus était vraiment humain, disons-nous.

          Un humain dont les constructeurs des grands projets humains ne voulaient pas. Ils avaient bien voulu se fier à une première illusion ; car un guérisseur, ce n’est pas si mal… Après une grande colère (car il a mis leurs projets mortifères à jour), il est devenu celui dont tant de gens pensaient pouvoir ou devoir se passer : la pierre que les maçons ont rejetée.

          Rejetée. Dans les oreilles des compétents, la parole de vie de Jésus ne tient pas la route. Elle menace même le cours des choses. Mise au rébus. A travers sa mort, il fallait se faire taire Jésus.

 

Jésus incarne la vie humaine dans toutes ses dimensions. La mort en fait partie. Faiblesse extrême. Ce n’est pas à un petit tour de passe-passe auquel nous assistons. C’est quelque chose qui nous dépasse. Dieu est fidèle. Il ne desserte pas certaines domaines de la vie. Même pas la mort. Sa fidélité est pour toujours. Il nous précède.

          Nous pouvons l’expérimenter. Nous pouvons le partager… dans un « nous », dans un « je ». Nous, nous pouvons entrer dans cette expérience partagée des chrétiens : Je ne mourrai pas, je vivrai pour raconter les œuvres du Seigneur.

 

Raconter ? Racontez les œuvres de Dieu ? Allez-y. Ce n’est pas dire aux personnes dans la détresse que Dieu va les extirper d’un désastre ou d’une mauvaise passe. Devenons des nominalistes qui  racontent comment la pierre rejetée a transformé des vies, nos vies. Et la merveille serait que cette parole personnelle trouvera écho ; que d’autres peuvent y joindre leurs voix. Au même temps : restons des essentialistes qui cherchent à dire l’essence-même de la vie. L’un ne va pas sans l’autre.

Il est ressuscité, pour moi, pour toi, pour nous ! Mort pour de bon, le Christ vivifie pour de bon.

Angelika Krause

 

Contact